Alexandre Deletraz à Fully en Suisse révèle des vins éclatants. Compte rendu de ma visite dans son domaine en Valais.
Cet été, je devais partir initialement pour une semaine en randonnée en solitaire sur le Tour des Muverans, éventuellement en bivouacs et en refuges. Mon papa a souhaité se joindre à moi. Sans entrainement ni de sport, mon papa a dû abandonner au 3è jour. Rien de grave, car grâce à mon ami vigneron Gérard Dorsaz, de Fully, j’ai pu adapter un programme terrible. 4 journées de randonnée malgré tout avec papa, et 4 journées dans le fabuleux vignoble de Fully, mais aussi de Leytron, Saillon et Sexon. Mais surtout de Fully, hein! Rencontre chez Alexandre Deletraz avec Gérard Dorsaz et papa.
Cave des Amandiers, route des Moulins
1913 Saillon
Valais, Suisse
Gérard Dorsaz était venu à la maison voilà 9 ans déjà pour me faire déguster une partie de sa gamme de vins. Ce fut une soirée mémorable, et depuis, nous gardons un certain lien amical. J’ai travaillé durant l’hiver 98/99 à Verbier chez feu Rolland Pierroz, à l’ancien Hôtel Rosalp, une expérience fantastique qui m’a permis de m’initier sérieusement aux vins de la région, du Valais.
Gérard outre le fait d’être un grand vigneron, est aussi le président des vins de Fully et un grand ami d’Alexandre Delétraz. Alexandre, j’avais déjà goûté quelques uns de ses vins, en 2011, relayés ici.
Alexandre Deletraz, vigneron à Fully
ALEXANDRE DELETRAZ, CAVE DES AMANDIERS, FULLY
Alexandre Delétraz, c’est un gars vraiment impressionnant de prime abord. Il est grand, très grand, davantage que moi, bien au delà du mètre 90. Et il est costaud, sacrément costaud. Ce que j’ai bien aimé aussi, c’est qu’il a plus trop de cheveux sur le caillou et ça, ça me rassure un peu, à l’heure où j’ai du mal à garder les miens intacts…! En tout cas, Alexandre il a la tête du mec sympa, souriant, et bienveillant. Pas la gueule du mec qui se la raconte, ou qui n’écoute que lui. Bien au contraire. Et pourtant, il pourrait presque se permettre de mettre en avant tout son talent. Mais il ne le fait pas, bien entendu.
Il est trop intègre et surtout respectueux des personnes qui l’entoure. Et qui ont aussi su et surtout voulu l’aider. Alexandre Delétraz ne vient pas du Valais, et malgré la consonance de son nom il vient plutôt de la Haute Savoie, si ma mémoire ne me trouble pas…Il a vécu à Lausanne, et même si malgré la distance pas si lointaine, le canton n’est pas le même et cela, en Suisse, change bien des choses.
« Emmanuel, tu sais, mes parents m’ont toujours fait partager leur profond amour du vin. Il étaient passionnés, et ils m’ont donné la fibre, j’ai toujours voulu bouger dans ce milieu formidable… »
LA CAVE DES AMANDIERS: TOUT À CONSTRUIRE
Alors, quand il est arrivé en Valais, à Fully afin de trouver quelques terres à vignes à cultiver, il a fallu faire sa place. Et ce n’est pas en poussant des épaules et des coudes qu’il s’est permis de le faire (il pourrait, vu le gabarit de notre gaillard!)…mais au contraire, en écoutant les vignerons déjà bien ancrés à Fully. Donner des leçons aux autres, ce n’est pas son truc. À 38 ans, Alexandre Delétraz est désormais à la tête de 6 hectares et demi aujourd’hui. Mais ce ne fut pas une mince affaire, pour les obtenir!
« Emmanuel, tu sais, mes parents m’ont toujours fait partager leur profond amour du vin. Il étaient passionnés, et ils m’ont donné la fibre, j’ai toujours voulu bouger dans ce milieu formidable… »
Le premier millésime d’Alexandre fut le 2007 avec seulement quelques bouteilles, mais c’est en 2008 que tout commence vraiment. Et se constituer un petit domaine de 3 hectares au début de son aventure lui a réclamé plus de deux ans de recherches et de tractations.
En arrivant à Fully, j’ai de suite écouté les locaux, pour faciliter mon intégration. Je me voyais mal leur expliquer comment faire du vin, là où j’en ai goûté de si bons chez les vignerons que je suivais
Acquérir des lopins de vignes n’est pas du tout aisé, et surtout quand il faut dénicher les meilleures parcelles. Tout remettre en place fut un boulot titanesque. Forcément, le nouveau venu ne se voit pas offrir d’emblée les plus belles…Alexandre poursuit:
« À Fully, il y a 320 hectares de vignes, Emmanuel. Et plus de…2000 propriétaires! Il faut savoir qu’ici les habitants travaillaient dur, l’hiver en montagne, l’été dans la vallée. Chaque famille avait ainsi diverses cultures. Les fruits ici, comme la poire mais surtout l’abricot sont légion, mais chaque famille avait son petit lopin de terre, c’est très culturel ici. Il a fallu donc que je prenne le temps de trouver les bonnes opportunités »
Je comprends ainsi mieux pourquoi Fully, dans le Valais est aussi impliqué dans son vignoble…Il est toujours utile de s’intéresser à l’histoire locale pour mieux comprendre ce qui a permis à Fully d’être le vignoble qu’il est aujourd’hui. Les populations des montagnes s’amoncelaient petit à petit autour des cols. Ce qui a permis ainsi le développement économique de ces régions.
La Combe d’enfer, parcelle chère à Alexandre Deletraz
Le terroir de Fully en quelques mots
Le vignoble de Fully a ceci de particulier qu’il respire le chaud et le froid. Je suis un ardent défenseur de ce type de terroirs, dans la mesure où la chaleur seule ne peut donner de grands terroirs. Le froid est essentiel, nécessaire à la chaleur. Ainsi, le climat Valaisan de type méditerranéen trouve à Fully des sols granitiques, acides, donc, même si par endroits des zones calcaires y reposent. La morphologie de ce terroir consiste à alterner entre les vallons et des crêtes. Le vignoble ainsi profite à plein de fantastiques terrasses. Les murs formés par le vignoble, et les immenses pans de pierre que constituent les montagnes offrent certes une protection, mais ils permettent surtout de redistribuer de la chaleur accumulée de la journée, une fois la nuit tombée. L’altitude joue un rôle essentiel de régulateur, quand on sait que tous les 100 mètres, on y perd 0,6°…
La végétation, joue elle aussi un rôle auprès de vignerons consciencieux, et il est intéressant de constater la grande diversité de la flore dans ce coin, allant de la gentiane, du lys, de la pulsatille ou encore l’oeillet, l’anémone…quand les arbres et les herbes offrent toute leur diversité et leurs odeurs. Plus loin sur le Mont Valère pousse même des cactus.
Tout cela démontre à quel point le(s) micro-climat(s) de Fully, et du Valais sont évidents, en y ajoutant l’influence du fleuve Rhône, du lac, mais aussi du Foehn, ce vent chaud qui aime à souffler dans ce coin décidément à part. Le chaud et le froid, le feu et la glace…
DÉGUSTATION DES VINS D’ALEXANDRE DELETRAZ
In situ en compagnie de mon papa, de Gérard Dorsaz et Alexandre Deletraz, à la cave des Amandiers.
Fendant 2018 – cépage chasselas
Nez fin, subtil, sur les fruits blancs, frais en fond de nez. Bouche dans le droit sillage du nez, bouche droite malgré une jolie chair, finale tonique, salivante, fins amers.
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Petite Arvine 2018
Vignes sur sol calcaire à Saillon et Leytron
Nez fin, fruits frais, puis floral, tilleul en fond de nez. Bouche suave, au milieu de bouche rafraichissant, finale revigorante, rehaussée par de fins amers. Persistance un soupçon variétal (noble), fine salinité, pour un ensemble qui se met tranquillement en place
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Petite Arvine de Fully 2018
Granite et gneiss
Nez subtil, floral, finement végétal, herbe fraiche. Bouche droite, de bonne constitution en son milieu, complet, oscillant entre l’énergie de son fruit, le saillant de sa fraicheur, les beaux amers et la salinité de sa persistance. Certes jeune, ce vin réclamera encore un peu de temps afin de révéler toutes ses promesses.
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Petite Arvine ‘les seyes’ à Fully 2018
« Il y a toujours eu sur ce terroir de l’Arvine ». Raisins issus d’un troisième passage. Élevage de 8 mois puis 3 mois remis en masse en cuve.
Nez raffiné, légèrement épicé, noisettes, fruits jaunes, fond de nez floral. Bouche charnue pourtant à la trajectoire bien droite, la finale fraiche révèle là encore de très jolis amers, offrant au vin un certain relief. Énergique, ce vin révèle davantage de force et de structure sans jamais perdre en élégance. Très beau vin!
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Cépage Heida à Fully 2018
Cépage savagnin, ouillé.
Nez fumé, floral, fond de nez amande fraîche. Bouche riche, de belle amplitude, finement réduite puis avec l’aération, la finale s’étire doucement. C’est un poil heurté à ce stade mais plein de promesses.
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Ermitage de Fully 2016
Vignes de marsanne, de 60 ans, issues de la Combe des Cloux. Élevage en demi-muids durant 4 mois.
Nez gourmand, framboise, finement truffé en fond de nez. Bouche grasse, au milieu fruité, plein, révélant une finale pleine de vitalité, là encore les fins amers appuient le caractère affirmé du vin, et quelle longueur!
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Ermitage de Fully 2017
L’expression de ce vin m’a plu, j’y ai retrouvé une forte identité du fruit, du cépage et du terroir, tout semble déjà bien lié!
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Les vins rouges d’Alexandre Deletraz
LES VINS ROUGES
Gamay de Fully 2018
Sol granitique
Très joli nez, fruité, finement épicé en fond de nez. Bouche droite, pure, au fruité juteux en son centre, de bonne ossature, le vin offre pourtant une finale juteuse, fraîche à souhait. Très joli gamay, indéniablement.
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Humagne de Fully 2016
Nez enjoué, presque joueur, fruits rouges, puis noirs, épice douces en fond de nez. Puissant.La bouche ne trahit nullement ce caractère presque démonstratif avec une texture veloutée, droite, malgré une belle amplitude, que la finale fraîche parvient à parfaitement contrebalancer. De fins amers appuient cette sensation démonstrative, l’élevage est précis, joli, à ce stade.
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Cornalin de Fully 2016
20% de grappes entières
Nez expressif, hésitant entre le fruit noir, puis les tonalités fumées, les épices. Le tout est soutenu par une noble touche finement végétale. Fond de nez frais. Bouche pleine, généreuse, texture confortable, crémeuse, parfaitement équilibrée par la sensation de fraîcheur malgré une très belle trame de tanins fins. Le fruité exprime son jus, quand les amers affirment un élevage bien intégré par cette matière crémeuse du plus bel effet. Fin végétal et beaux amers en persistance qui offrent un certain relief et une définition fort à propos de ce vin.
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La noblesse végétale ressentie en persistance offre une lecture très intéressante et complète de ce cépage sur ce terroir granitique de Fully. Les 20% de grappes entières jouant là un rôle déterminant, et ce choix de la part d’Alexandre n’est certainement pas anodin, le risque étant finalement limité au vu du climat, du terroir et de la qualité du millésime. Choix payant, essai transformé!
Cornalin ‘Combe d’enfer’ 2017
Granite (gneiss)
Puissant, suave, profond autant dans son expression olfactive que gustative. Une superbe mâche accompagne ce vin, qui s’offre plus large, plus profond, plus long encore que le vin précédent. Quelle belle bouteille qui ira loin, très loin malgré cette impression de retenue en finale. Mais sa rectitude n’en n’est que plus prometteuse…quelle beau vin!
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Syrah 2016
Nez clairement fumé, lardé, puis fruité mûr, cassis. Floral en fond de nez. Bouche droite malgré sa structure crémeuse, l’acidité sous-jacente jouant là son rôle de point d’ancrage à merveille. Les tanins offrent une belle assise à cet ensemble, quand les beaux amers consolident davantage encore les jointures de ce vin. Tout cet édifice semble bien ancré. L’énergie déployée par cette syrah appuie le potentiel de ce vin, indéniablement parti pour aller loin!
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Un sacré moment avec Alexandre et Gérard
ALEXANDRE DELETRAZ: MA CONCLUSION
Gérard Dorsaz m’a fait prendre conscience de la beauté du terroir de Fully et l’exigence du travail dans les vignes, tant la mécanisation reste impossible au vu des pentes souvent vertigineuses. Bien que je connaissais déjà le terroir suite à mon passage à l’Hôtel Rosalp le temps de l’hiver 1998/1999 à Verbier. Déguster les vins de Fully, du Valais reste toujours difficile tant en France, leur distribution est limitée, très limitée.
Tous les vins dégustés chez Alexandre m’ont permis de mieux comprendre l’impact du sol, du climat, et des éléments qui régissent le terroir. Alexandre s’est donné les moyens d’impulser des vins aussi francs et généreux que possibles. Ils dévoilent tous une structure crémeuse, des fraicheurs étonnantes et un certain relief.
Il en résulte souvent de très jolies définitions, tout en laissant la place aux cépages d’exprimer leur personnalité. Des vins francs, directs, qui vont droit au but, à l’essentiel.
Le Cornalin est un cépage merveilleux, que j’ai eu plaisir à redécouvrir, la syrah offre une pureté formidable quand le gamay m’a impressionné, tant le terroir de Fully lui permet d’offrir un éclat et une lumière rarement ressenti jusqu’alors. Et la dégustation des vins de Gérard Dorsaz et de quelques autres vignerons m’ont définitivement convaincu que ce terroir est remarquable, et le gamay tellement pur, et lumineux, quelle énergie dans ces vins.
Naturellement, la Petite Arvine est un cépage fantastique, tant elle dévoile à merveille les contours de ce terroir si complexe. Oscillant entre énergie, pureté, complexité et densité, la Petite Arvine offre des profils variés, selon son évolution. Jeune, le profil s’étire, et le vin offre une certaine démonstration, qui avec le temps, s’adoucit, se complexifie, et c’est là que ce cépage donne sa pleine mesure.
L’Humagne blanche n’est pas en reste…oui, les cépages suisses ne sont pas plantés ici par hasard. Et dès que je le pourrai il est évident que j’encaverai des vins d’Alexandre dans ma cave. Et ceux de Gérard Dorsaz, naturellement! Vous devriez en faire de même, à la seule condition, que vous m’en laissiez un peu.
Emmanuel Delmas
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PORTRAITS DE VIGNERONS – Emmanuel Delmas, Sommelier & Consultant en vins, Paris
Car les vignerons donnent naissance aux vins, relaient le message du sol, de leur terroir. Leur talent n’a d’égal que leur passion et leur courage. Je me rends en moyenne 40 jours chaque année chez
https://www.sommelier-vins.com/2008/03/portraits-de-vignerons
Julietta
hmm ooooh good !
Fabien Hubsch
J’ai eu le bonheur de m’y arrêter en octobre. Une bonne planche, une petite Arvine, et le grand soleil Valaisan. Le bonheur !